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Une époque et des paradoxes



Toute période est propice au changement. Dire que les choses changent davantage de nos jours que par le passé est à la fois vrai et faux puisque quoique nous fassions, le temps s’écoule, les saisons passent, les générations cellulaires comme humaines se renouvellent et, pour reprendre une maxime asiatique qui me tient à cœur, « rien n’est permanent sauf le changement ».

Ceci étant dit, je suis frappée par les paradoxes de la période que nous vivons en ce moment. Paradoxes qui ne sont peut-être qu’une apparence ou les faces complémentaires d’un même mouvement d’ensemble, à vous de me dire ce que vous en pensez.

Je vais prendre l’exemple de ce qui se passe en entreprise mais je pense que ce n’est qu’une incarnation parmi d’autres des envies paradoxales qui parcourent notre société.

Dans le monde de l’entreprise, on n’a jamais autant parlé de « bien être au travail », de « qualité de vie au travail » mais aussi des nouveaux modes de travail, nouvelles organisations et nouveaux modes de management. Transformation digitale, "nomadisme", arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail, évolution des mentalités, un faisceau de tendances montre que l’univers bien spécifique du monde professionnel est en profonde mutation. J’ai beau ne pas faire partie des générations les plus jeunes, j’en suis ravie car je me reconnais profondément dans toutes ces évolutions, qu’il s’agisse des approches participatives et collaboratives, de l'usage des nouvelles technologies ou de la liberté de travailler de n’importe où, y compris à la terrasse d’un café ou dans un parc !

Ces évolutions, portées notamment par les désormais célèbres « GAFA » (Google, Amazon, Facebook, Apple), mises en lumière par le non moins célèbre label « Great Place to Work » promeuvent des organisations nouvelles (voir à ce sujet les HR Trends 2016, publiées par Deloitte <https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/HumanCapital/gx-dup-global-human-capital-trends-2016.pdf>).

Des organisations plus « plates », en réseau, des modes de travail basés sur la coopération et la complémentarité des expertises ou des compétences, un management capable de décider et d’arbitrer mais fondé sur une autorité de compétences et non sur la hiérarchie militaire et l’autorité de fait. Les maîtres mots de ces dernières années sont « autonomie », « responsabilisation » (et son bien plus explicite synonyme anglais « empowerment »), « délégation », « coopération », « collaboration » et j’en oublie certainement. Fondamentalement, cela repose sur un paradigme qui n’était pas celui des décennies précédentes (voire des siècles précédents !) et qui replace l’humain au centre avec un maître mot qui me semble essentiel : la CONFIANCE. Confiance dans la capacité de l’individu à s’adapter, confiance dans l’aptitude de chacun à prendre ses responsabilités, à savoir se former quand il faut, à lever des alertes lorsqu’elles apparaissent, à solliciter les bons interlocuteurs lorsque c’est nécessaire, en bref à se prendre en main, à exercer son autonomie dans le travail et à exprimer ses compétences de la bonne façon et au bon moment. En bref, on pourrait se dire que la tendance en cours valorise et encourage l’acteur à être maître de sa vie professionnelle et casse un certain nombre de barrières et de silos, hérités des modèles tayloriens ancestraux. :)

Dans la vie « civile », les mêmes tendances sont à l’œuvre, même si ce n’est pas aussi visible que dans le monde professionnel. En témoignent l’essor des activités de développement personnel, le recours aux services de « psys » mieux accepté, les tendances d’éducation qui « empower » le jeune et l’accompagnent dans la recherche de son chemin personnel, etc.

Alors, pourquoi « paradoxes » au début de ce billet ? Parce qu’en même temps que ces tendances s’affirment et se développent, se répandent dans les livres, les articles ou les blogs, on assiste à une montée en puissance de prises de positions à mon sens opposées à tout cela, et en particulier dans le domaine politique. Nous assistons en effet à l’émergence de discours ou de postures qui sont exactement à l’opposé de ce qui précède, promouvant l’autoritarisme (que d'aucuns aimeraient qualifier d'"archaïque"), des retours en arrière sur certains sujets (droit des femmes par exemple), encourageant la xénophobie ou le rejet de l’autre, la surveillance à tous crins, le « reporting » permanent, la fermeture et/ou la suspicion à l’égard de l’individu, voire dans les cas extrêmes, la violence.

Je suis frappée par la montée en puissance (pire encore, par leur relatif succès !) de discours politiques qui cherchent à nous renvoyer au mieux au 19è siècle, si ce n’est plus loin encore en arrière. Et ces discours sont non seulement entendus mais écoutés et plébiscités par un nombre conséquent de personnes ! Evidemment, il y a Trump aux Etats-Unis. Mais aussi tous les mouvements extrêmes en Europe, les discours portés par les principales religions et, à l’observation, le sentiment que l'observance est bien plus élevée qu'il y a quelques années. De mon point de vue, les enfermements idéologiques de ce type (qu’ils soient politiques ou religieux, quoique dans certains cas c’est la même chose…) représentent une aliénation fondamentale de sa capacité de libre arbitre et de sa liberté individuelle. Certains m’objecteront que leur soumission à ces idéologies (et aux obligations qu’elles engendrent) sont un choix conscient, admettons. Mais d’un point de vue plus global, on ne m’enlèvera pas de l’idée que ces tendances, qui traduisent certainement des angoisses fondamentales, sont exactement contraires à ce que je décrivais en début de texte.

D’un côté la promotion de la personne, reconnue pleine et entière dans ses capacités, sa personnalité, sa capacité à coopérer avec les autres. De l’autre, l’individu frileux de son homologue humain, qu’il faut tenir en laisse pour être sûr qu’il fera ce que l'on attend de lui.

Un peu comme certains grands courants marins se croisent au fond de nos océans, j'observe que ces deux mouvements coexistent aujourd’hui dans les sociétés occidentales. Lequel va l’emporter ? L’être humain est-il capable de tenir sur ses jambes pour ne plus avoir besoin des béquilles qui le limitent dans ses déplacements et semblent entériner le fait qu’il n’est pas capable de tenir seul ?


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