Depuis maintenant quelques années, nous entendons parler des "générations" au travail et de leurs caractéristiques. Cette sensibilité particulière est apparue, me semble-t-il lorsque les journalistes ou les spécialistes de l'entreprise et du monde du travail se sont mis à décrire abondamment la "génération Y" (gen Y ou "why" parfois en anglais) et les traits qui la caractérisent. Si la notion de "Baby boom" et de "baby boomer" était déjà dans les esprits, nous avons néanmoins vu éclore avec cette question de la "Gen Y" un sujet renouvelé à défaut d'être nouveau. Avec ce concept de sont imposés dans les discours celui de "génération X" (actuellement quadragénaire) et celle des Millenials, de "génération Z" ou encore celle de "génération 4C" (4C pour "Connection, Communication, Créativité et Collaboration - http://www.focusrh.com/relations-ecoles/recrutement-des-jeunes-diplomes/la-decouverte-de-la-generation-4c-24759.html). Je voudrais proposer ici une lecture sociologique particulière du phénomène.
Catégoriser pour comprendre
S'il est un réflexe humain, c'est bien celui de catégoriser, organiser, construire des classes permettant de comprendre et d'expliquer le monde et ce qu'il s'y passe. C'est même l'une des 8 formes d'intelligence décrites par Howard Gardner ("Les intelligences multiples").
De fait, organiser chronologiquement les groupes d'individus est assez logique et relativement sensé. Ne serait-ce que parce que d'un point de vue simplement historique, ces cohortes de personnes n'ont pas vécu dans le même environnement, les mêmes contextes historiques et n'ont pas bénéficié des mêmes technologies (quelles qu'elles soient), bref qu'elles ont évolué dans des univers culturels et socio-économiques particuliers.
Ces "générations" ont de fait été confrontées à des choses différentes et par ailleurs bien sûr, le monde a évolué. Les mentalités ont changé et avec elles les habitudes comme les attentes de chacun face à la vie. Le monde du travail ne fait pas exception.
Au-delà de son aspect trivialement nourricier, le travail est analysé et décrit aujourd'hui d'une façon qui est propre à l'époque. Il fut sans doute un temps où l'on ne s'épanchait pas à ce point sur ce que le travail est, n'est pas, doit apporter ou non et quelle place il occupe où est censé occuper. Une chose est sûre, le nombre de lignes ou d'échanges qui lui sont consacrés est conséquent ! Et les discours se développent sur "le sens au travail", "le sens du travail", ou tout simplement la place et l'importance qu'on lui attribue. Si nos sociétés occidentales s'y penchent en se/nous posant tant de questions, ce n'est pas le cas de pays dans lesquels aujourd'hui un grand nombre de personnes ne cherchent rien d'autre qu'un moyen de survie. (Comme le montre d'ailleurs très bien l'exposition "Human" de Yann Arthus-Bertrand à voir à la Fondation GoodPlanet).
Tant de débats, cela cache quelque chose
Mais revenons-en à la question des générations. Depuis le temps que nous avons l'occasion de lire à leur propos, je me suis souvent fait la reflexion que même si je suis "étiquetée" X, je me sens proche d'un certain nombre de préoccupations considérées comme représentatives des "Y", voire des "4C" (celle de mes enfants). Suis-je donc particulièrement "jeune dans ma tête ?". Ou, comme l'écrivent certains sociologues et analystes, me suis-je adaptée et "décomplexée" sur certains sujets en me disant que "puisque les jeunes le font, moi aussi cela me plaît" ? Exemples : le présentéisme que les plus jeunes questionnent ; demander à un manager d'expliquer pourquoi il demande telle ou telle action ; devenir plus vigilant au sens des actions effectuées ou encore rester attentif à son équilibre vie privée / vie professionnelle ; vouloir donner un sens à ce que l'on fait ; télétravailler ; travailler de manière collaborative grâce aux outils d'aujourd'hui... La liste est longue !
Cette hypothèse me semble assez convaincante, dans la mesure où sans doute la plus grande liberté d'action et de pensée, l'assurance que manifestent les plus jeunes, sont des comportements que nous, quadras, aurions aimé avoir. Un peu comme ce quinqua que j'ai interviewé un jour et qui était plus à la pointe de la technologie que beaucoup de plus jeunes que lui.
Existe ? Existe pas ? Dépassons les débats
Mais depuis quelques jours, une autre hypothèse m'est venue à l'esprit. Car les discours et les points de vue sur ce sujet générationnel se croisent et s'entrecroisent sans arriver véritablement à s'entendre. Les "générations" (dans ce sens sociologique donné) existent-elles ou pas ? (plusieurs articles existent sur ce sujet, ex : http://www.manpowergroup.fr/etude-vivavoice-manpowergroup-jeunes/ ; de même que des conférences nous affirmant le contraire : Emmanuelle Duez - https://www.youtube.com/watch?v=gkdvEg1kwnY)... Bref, le débat n'en finit pas !
Alors, pour regarder ce sujet sous un angle différent, j'aimerais proposer de voir les "générations" comme des archétypes. Qu'est-ce qu'un archétype ? Il existe plusieurs définitions (philosophique, psychologique...) mais celle que je trouve la plus proche de l'idée que je souhaite exposer ici est la suivante : "On appelle archétype un modèle idéal, un type suprême ou un prototype" (https://www.universalis.fr/encyclopedie/archetype/ ).
Il me semble que la nature presque "caricaturale" de la description faite des générations ressemble fort à ce qui fait un archétype. Archétypes de quoi me direz-vous ? L'hypothèse que j'aimerais poser est que les "générations" incarnent en réalité dans nos imaginaires des archétypes du travail, des représentations typiques de nos différents rapports au travail possibles. On pourrait presque établir un lien entre les théories de la motivation au travail qui circulent et la description faite des composantes de chaque "génération" au travail. Et pour citer Émile Durkheim, Il y a bien un fait social à observer dans le fait même que nous écrivions et débattions tant autour de la personne au travail ou du rapport des individus à celui-ci. Mais c'est un autre sujet.
Ce que j'aimerais démontrer (et cela pourrait faire l'objet d'une recherche à part entière), c'est pourquoi les débats qui entourent le sujet des générations est vain. Il ne peut y avoir débat, dès lors que le sujet dont nous parlons est le fruit d'une construction mentale. Une fois encore, il existe bien sûr des générations historiques. Mais celles qui nous occupent ici doivent être remises à leur juste place : celle de nous permettre de réfléchir à notre façon de considérer le travail et ce qu'il nous (r)apporte. Une typologie des différents rapports au travail et à sa signification nous ferait sans doute retomber sur un certain nombre de caractéristiques que l'on attribue à ces fameuses "générations".
Peut-être un moyen de faire le lien entre "archétype" et réalité socio-historique, serait-il de dire que l'environnement dans lequel nous évoluons amène aussi à regarder le travail avec des lunettes différentes. En ce sens, effectivement, les "générations" (X, Y, Z, 4C) incarnent, lorsqu'on les prend sous l'angle d'un groupe semi-homogène, la relation qu'une époque, un pays, une culture, entretient avec l'activité "travail".
Et vous, qu'en pensez-vous ?
Comments